Histoire d'ici Des travailleurs italiens sur le chantier de la voie ferrée Mommenheim-Sarreguemines (1892-1895)
Sources : Société d’histoire et d’archéologie de Saverne et environs (Shase), fonds L.-Ch. Will ; presse régionale d’époque.

À la fin du XIXe siècle, le réseau ferré alsacien se développe considérablement. Pour réaliser les différents projets, on fait appel à une main-d’œuvre étrangère importante. Les ouvriers italiens représentent souvent la grande majorité des effectifs. Ils sont notamment nombreux sur le chantier de la ligne Mommenheim-Sarreguemines.
Au printemps 1891, le vieux dessein de relier Mommenheim à Sarreguemines via Obermodern prend forme. Le tracé définitif est adopté en 1892. Outre l’amélioration des liaisons économiques et commerciales, la nouvelle ligne va également désenclaver la haute vallée de la Moder et celle de l’Eichel.
Un besoin de travailleurs étrangers
Après la guerre de 1870-1871, les campagnes alsaciennes sont affectées par une crise s’étalant de 1875 à 1895. L’émigration alsacienne, relativement importante tout au long du XIXe siècle, persiste de façon variable jusqu’en 1914. De 8000 à 9000 personnes émigrent par an. Elles se dirigent surtout, d’une part, vers la France ou vers l’Algérie durant la décennie suivant l’annexion, et d’autre part, vers les États-Unis. Ce mouvement affecte en particulier le monde rural, mais également les artisans. Il se calme à partir de 1885, puis reprend en 1905.
Pour pallier le manque de bras, l’immigration venue d’autres parties de l’Empire allemand, mais surtout d’Italie, permet de compenser les départs et de fournir la main-d’œuvre nécessaire à une économie alsacienne revigorée. Un autre mouvement s’impose à partir de 1890 : l’Europe du Sud agricole fournit des travailleurs à l’Europe du Nord industrielle. L’émigration transalpine n’est pas un phénomène nouveau, les migrations saisonnières existent depuis des siècles.
Il s’agit d’une immigration avant tout masculine, du moins jusqu’au début du XXe siècle, des célibataires entre 25 et 40 ans venus surtout des régions du nord de la péninsule (Piémont, Lombardie, Vénétie, Frioul…). Ils travaillent principalement dans le bâtiment, les carrières et les travaux publics, où ils sont embauchés comme maçons ou pour des travaux de terrassement souvent pénibles, que les ouvriers locaux rechignent fréquemment à faire.
Une majorité d’Italiens
Près de 1 200 ouvriers, dont 1 100 d’origine italienne, sont employés durant la construction de la ligne Mommenheim-Sarreguemines. Outre la mise en place d’une double voie, il s’agit de construire de nombreux ouvrages d’art (ponts, viaducs…) et de percer deux tunnels, celui de Buswiller (540 m de long) et celui de Puberg (1 628 m de long).
Pour ce dernier chantier, l’entreprise de travaux publics strasbourgeoise Dinndorf a recruté de la main-d’œuvre locale, mais surtout extérieure : des Luxembourgeois, des Belges, des Palatins et de très nombreux Italiens. Ces ouvriers sont logés dans différents endroits. Ainsi, à Wingen-sur-Moder, des baraques ont été réparties dans toute la localité. Une grande cantine a été implantée près de la rue principale. Elle sert également de lieu de rencontre et de dortoir. À Frohmuhl, le nombre d’Italiens est important. Ils habitent dans des baraquements, mais aussi chez l’habitant ; le boulanger Doerflinger a également fait aménager des chambres. À Puberg et dans d’autres lieux, des particuliers hébergent aussi des travailleurs italiens.
Le besoin en main-d’œuvre paraît tellement important que l’entreprise chargée des travaux à Oermingen n’hésite pas à engager, à la fin du mois d’août 1893, des ouvriers transalpins, victimes d’une « chasse à l’Italien » sur un chantier à Maron (Meurthe-et-Moselle).
Des travailleurs caricaturés
Les immigrés italiens sont souvent brocardés. On leur reproche d’accepter des travaux durs et des salaires inférieurs à la normale pour être embauchés, mais également d’être agressifs, avec toujours un « pistolet dans la culotte » ou de jouer du couteau sans hésiter. Ce sont, bien sûr, des images construites qui ne sont pas propres à l’Alsace. Leur présence importante, la barrière de la langue et des mœurs différentes sont souvent évoquées dans la presse régionale. Le dimanche, les Italiens jouant les jolis cœurs auprès des filles dans les salles de danse, les rixes avec les jeunes Alsaciens ou les militaires allemands sont fréquentes. Cela conduit les maires à interdire les bals en 1893.
Un article paru le 5 septembre de la même année parle des fortes augmentations du prix des pommes de terre, du lait et du beurre dues au chantier ferroviaire, mais également du prix croissant des logements ainsi que de la présence des Italiens à Tieffenbach. Il précise que ceux-ci disposent de leur propre cuisinier chargé des repas de 25 personnes. L’article raille les menus : macaronis et pommes de terre ou pommes de terre et macaronis pour le déjeuner, du riz le soir, de la viande, exceptionnellement, le dimanche…
Bien évidemment, il ne saurait être question d’évoquer tous les aspects de la présence italienne dans le cadre étroit de cette chronique. Précisons tout juste qu’elle baisse fortement à partir de 1895 après la fin des travaux. En 1904, on dénombre encore onze ouvriers italiens dans les carrières de grès à Tieffenbach.