Pasteur Fricker (suite)
LA GESTAPO ARRÊTE LES PASTEURS BASTIAN ET FRICKER, CHEFS DU MAQUIS DE VOLKSBERG
Lundi 16 octobre 1944, d’importants moyens sont mis en œuvre par la Gestapo secondée par des commandos de la Waffen-SS et du SD (Sicherheitsdienst), spécialisés dans la lutte contre les « terroristes ». Tous les accès aux villages de Tieffenbach et de Volksbreg, en Alsace Bossue, sont bloqués. Le but est d’arrêter le pasteur Henri Fricker, responsable de la Résistance du secteur et le pasteur Frédéric Bastian chef du maquis de Volksberg.
Volksberg est un petit village typique d’Alsace Bossue, situé, à vol d’oiseau, à une dizaine de kilomètres au Nord de La Petite Pierre et une douzaine de kilomètres au Sud de la ligne Maginot, C’est un village sans voies de communications importantes, sans voie ferrée. Seule une route qui mène de Weislingen à Rosteig et au col de Puberg ainsi qu’une route forestière qui aboutit au hameau de Speckbronn, annexe de Soucht en Moselle dessert le village.
En 1939, une garnison de soldats français occupe le village et de nombreuses amitiés se lient avec la population.
La forêt proche est immense, la population compatissante avec les soldats français et étrangers, prisonniers évadés , réfractaires au STO* , où déserteurs, qui passent par Volksberg.
Le pasteur Fricker est à l’origine du réseau qui permet aux évadés de rejoindre la zone occupée, mais non annexée, en se joignant aux réseaux de passeurs de Sarrebourg, Abreschviller et du Rehtal,
Henri Fricker, alias Capitaine Henry, est né à Paris en 1910, de parents alsaciens. Il a servi comme aumônier militaire dans la 11e division d’infanterie, la « division de fer » et a gardé de nombreux contacts avec ses anciens camarades. Fait prisonnier de guerre en juin 40, il est libéré en juillet 40 par l’intermédiaire de la Croix Rouge et rejoint sa paroisse de Tieffenbach. Il crée dans les villages environnants un réseau clandestin d’hommes et de femmes sûrs, capables de servir de passeurs, d’agents de liaison, de cacher et de nourrir des hommes dans le plus grand des secrets, ceci avec l’aide de son ami et collègue, le pasteur Bastian.
Frédéric Bastian, alias Lieutenant Charles ou Monsieur Charles, né en 1911, est le véritable chef du maquis de Volksberg. Secondé par François Jaming, alias Emile, l’homme qui sait tout faire. Boucher de métier, il s’occupe de la popotte, de la viande et du gibier que le garde forestier, Louis Oelvogel, alias Hubert met à la disposition des maquisards et les avertit des dates de battues dans son secteur forestier.
François Jaming, mobilisé dans l’armée allemande en Yougoslavie, rejoignait, la nuit tombée, les partisans de Tito. C’est là qu’il fut initié à la vie des maquisards, des soldats de l’ombre. Lors d’une permission il déserte.
C’est lui qui supervise la construction des abris souterrains pour des petits groupes d’hommes. Ces abris peuvent loger jusqu’à 10 personnes. Creusés dans la terre, soutenus par des rondins en sapin, ils disposent de lits superposés, d’ un conduit d’aération, d’une cuisinière avec conduit de fumée, d’armes et de victuailles souvent fournies par la population.
Le maquis de Volksberg est composé de petits groupes d’hommes de toutes nationalités, Français, Polonais, Russes, Tchèques qui vivent en bonne harmonie avec la population. De nombreuses familles cachent des évadés chez eux et participent activement aux réseaux d’évasions dont celui de Meisenthal, dirigé par le drirecteur de la verrerie, Antoine Maas et secondé par se filles, Marie-Antoinette et Jacqueline.
C’est l’occasion de rendre hommage à Mme Elise Gangloff, née Schmidt, une jeune femme qui paya son engagement par un internement à Schirmeck, de juillet à octobre 44.
Les autorités nazies sont parfaitement au courant de l’existence du maquis et décident d’y mettre fin. Le temps presse, les Alliés avancent, la 2e DB est dans les Vosges, près de Baccarat. Il s’agit de ne laisser aucun point de soutien aux armées alliées. Des miliciens français ,au service des Allemands, sont envoyés dans le maquis en se faisant passer pour des prisonniers évadés. L’un d’eux, tombe, début octobre 44, sur un groupe de maquisards. Arrêté, incapable de donner le mot de passe, il doit être fusillé, selon la consigne. Le pasteur Bastian s’y oppose fermement, un pasteur ne peut ordonner la mort. Fatale décision !
Le prisonnier réussit à s’échapper ce qui va engendrer l’arrestation des chefs résistants et la fin du maquis.
Dans la nuit du 11 au 12 octobre, un bataillon SS débarque au hameau du Speckbronn, des SS sont placés tous les 100m sur la route forestière jusqu’à Volksberg. Un commando se dirige très exactement vers l’abri d’où le milicien était retenu et d’où il s’est échappé. Les « partisans » sont cernés et se défendent. Le lieutenant Deresinsky, un Polonais, est tué ainsi qu’un SS. Quelques maquisards arrivent à s’échapper. Les Russes se rendent.
Six Français sont faits prisonniers.
Sur la place de la Mairie de Volksberg, le 16 octobre, la Gestapo réunit tous les hommes de plus de 16 ans et amène un militaire polonais qui avait infiltré le réseau. C’est lui qui désigne le pasteur Bastian qui est arrêté sur le champ, conduit à la prison de Saverne ,il est jugé et condamné à mort, par pendaison pour « Landesverrat und Hochverrat* », le 20 octobre 44,
Il est transféré à Schirmeck puis au camp de Haslach-Vulkan, Stollenbau 1. Un camp de travail particulièrement inhumain en Bade-Wurtemberg. Il est libéré le 16 avril 1945 et retrouve son épouse, arrêtée, le 19 octobre 44 et libérée du camp de Schirmeck, le 23 novembre 1944 par l’armée américaine.
Le pasteur Henri G. Fricker subira exactement le même sort que son collègue Bastian, Saverne, Schirmeck, Haslach-Vulkan, Villingen. Il s’évadera le 18 avril 45 et sera rapatrié le 23 mai 45 pour rejoindre l’armée française. Son épouse, Hélène , est arrêtée le 19 octobre, transférée à Saverne, puis Schirmeck et libérée par les Américains, le 23 novembre.
Henri Fricker sera Conseiller Général du Canton de La Petite Pierre de 1951 à 1964, titulaire de la croix d’officier de la Légion d’Honneur et de la rosette de la Résistance.
François Jaming ne fut pas arrêté ,il avait réussi à fuir et à se cacher. Son épouse, enceinte, fut laissée en liberté, par contre , la Gestapo arrête sa mère, Louise Jaming, née Janus, une dame de 53 ans, transférée à Schirmeck et libérée le 23 novembre.
Aujourd’hui encore, dans certaines familles de Volksberg , la mémoire du passé est entretenue.C’est grâce à la famille Traxel-Jaming qui m’a fait découvrir l’endroit où se trouvait, très probablement, l’abri, où le milicien polonais a été retenu et près duquel le lieutenant Deresinsky a été tué lors de l’attaque du 12 octobre 1944 et enterré peu après.
Les pasteurs Fricker et Bastian , humanistes et d’un courage exemplaire, méritent de ne pas tomber dans l’oubli, ainsi que toutes ces personnes, des vrais patriotes, qui ont participé à leur action de résistance.
Dominique LUTZ
Schopperten
* STO : Service du travail obligatoire
* Landesverrat und Hochverrat : Trahison envers l’Etat et Haute Trahison
Sources
Archives départementales du Bas-Rhin
Bastian Frédéric Revue d’histoire et d’archéologie de Saverne 1977
SERFASS Charles, Déchirure, Alsace Bossue 1939-1945 Imprimerie Scheuer 1994
DNA L’Alsace sous la botte nazie 1940-1945, Les saisons d’Alsace 44
TRAXEL Jessica, Volksberg,un village de Résistance, (Master Histoire et civilisations de l’Europe)
HENRY Michel-F, Histoires de passeurs aux pays des deux Sarres 1940-1945 , Editions des Paraiges.
https://museedelaresistanceenligne.org/
Almanach évangélique luthérien 1977